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Haïku de papier

Haïku de papier

Elizabeth Erkel-Deleris

Vie, Mouvement, Lumière, Harmonie

Unité de Médecine Palliative

 

 

« Tout à coup , le haïku respire – il respire parce qu’il
permet de mélanger l’esprit et l’espace. […] De réanimer
notre puissance d’intuition. De consentir, encore et toujours,
à la dimension imprévisible du monde »

Haïku du XXe siècle, Le poème court japonais d’aujourd’hui, Paris, Gallimard, 2007,
Présentation de Corinne Atlan et Zéno Bianu, p. 9-12.

 

 

 

Dans le cadre de l’agrandissement de l’unité de médecine palliative en 2010, le service a souhaité solliciter une artiste plasticienne dont le travail puisse permettre l’apaisement du lieu en réaffirmant l’importance des composantes psychiques, spirituelles et imaginaires des personnes accueillies.

L’immersion d’un artiste dans une unité de soins offre un prisme par lequel les visions peuvent être modifiées, ouvrant ainsi le champ des possibles.

Comme pour chaque projet accueilli à l’hôpital, ces réalisations ont été pensées à partir du projet du service de soins et du parcours du patient.
Ces œuvres ont vocation à accompagner chacun dans son parcours, matérialisant dans les murs-mêmes toute l’attention que les équipes souhaitent porter aux patients et à leurs proches.

Ce beau projet au sein de l’unité d’hospitalisation de médecine palliative du CHU de Rouen en fait une unité unique, avec son identité propre, grâce aux œuvres créées spécifiquement.

Les œuvres, oniriques, laissent libre court à l’imagination et favorisent un accompagnement apaisant.

 

Ce projet a été mis en œuvre dans le cadre du programme Culture -Santé de Haute-Normandie  et a été soutenu par la DRAC Normandie et l’ARS Normandie et les partenaires publics et privés suivants : le Frac , la Région Haute-Normandie, la Ville de Rouen, la Matmut , La Mutualité Française et la Poste .

 

Extrait du catalogue

L’oeuvre de la fragilité
par Frédéric Worms

 

« Le rôle de l’art d’Elizabeth Erkel Deleris dans le service des soins palliatifs du CHU-Hôpitaux de Rouen est très précis

à nos yeux : il consiste à rappeler que toute relation de soin ouvre par elle-même sur le monde naturel et humain, sur

la beauté et la création. Il ne s’agit donc pas d’un « décor » extérieur et trompeur ; pas non plus d’une « symbolique »

lourde ou violente (de la mort ou de la vie) ; pas du tout, enfin, d’un « soin » qui prétendrait prendre place à côté, ou

(« palliatif » dans le palliatif) « à la place » du soin médical, proprement dit. Non, il s’agit de ceci : montrer que les

soins palliatifs sont bien des soins, qu’une relation réelle de soin a pleinement lieu ici et maintenant, que, loin de

disparaître, elle s’intensifie même ici, pour soulager les souffrances avant tout, pour accompagner  l’individu et

ses proches, ensuite, pour remplir une tâche sociale de justice, encore, et aussi, finalement, pour ouvrir sur le monde.

Le soin réussi, « suffisamment bon » (au sens que Winnicott donne à cette admirable expression) fait tout cela. Nous 

l’oublions le plus  souvent, car, en dehors des soins de la petite enfance, de la maladie grave, ou de la grande précarité,

nous dissocions les tâches du soin. Nous aimons à compartimenter le soin technique, le soutien moral, la solidarité sociale,

le souci du monde. Nous avons les médecins, les amis, les institutions, et l’art. Mais chacun des soins « comprend »

tous les autres, et la faiblesse extrême de certains corps humains les rappelle à leur unité, pour les rassembler

tous, sans les confondre, depuis le soin médical, et autour de lui. Ainsi serait-ce aggraver la « solitude des mourants »

(selon l’expression de Norbert Elias) si l’art servait ici à isoler encore, à « s’évader », à s’opposer aux autres

formes du soin, dans une anticipation supposée de « la mort » ou une nostalgie inavouée de « la vie ». Ce que fait

Elizabeth Erkel Deleris, c’est tout autre chose : le bois peint et résiné, le papier plié, superposé, découpé, disent que

le geste esthétique est attentif à la fragilité et que l’attention à la fragilité (ce concept précis, central, en gériatrie surtout)

est pleinement créatrice ou recréatrice. Les « coques » ou « coquilles » ne sont pas des vaisseaux mythologiques,

mais l’embarcation commune du soin ; ce ne sont pas des momies modernes, mais plutôt la part d’oeuvre des berceaux

antiques d’osier et des immémoriaux bandages humains. Le papier fait voir en transparence le sourire d’une forme,

comme on reconnaît tout à coup un visage aimé, sous les rides et les plis parfois si déformants des maladies extrêmes.

Parcheminés, les corps ne sont pas seulement précaires, ils sont feuilletés ; ce sont des palimpsestes où, sous l’écriture

douloureuse de la maladie, il y a encore celle de la vie, tout comme une voix inimitable et encore audible, telle celle de

Socrate, dans ses dialogues, sort encore des vieux papyrus que les savants déchiffrent avec minutie. Ainsi, c’est bien

de ce soin présent, ici et maintenant, dans ce « service » et au-delà d’un « service » ( terme où l’on entend à la fois la

ferveur d’un dévouement, la froideur d’une administration, le risque de la servitude, toutes les ambiguïtés fragiles et fortes

du « soin »), c’est bien de ce service donc, que l’oeuvre procède. Insistons-y une dernière fois : bien loin d’être une exception

et une évasion, hors de ces soins que l’on dit trop vite « palliatifs », et qui plus est pour en détourner les yeux

(de chacun ou de tous), l’oeuvre et les oeuvres viennent rappeler ici, jusque dans ce soin « ultime », l’unité et l’ouverture

du soin, qui valent partout, mais que l’on oublie souvent. Jamais le soin n’est seulement et en un sens étroit « médical »,

même s’il l’est, d’abord, et, sans doute, toujours. Mais il est toujours, aussi, moral et social, relation et création. Il ne vaut

pas seulement par ce qu’il cherche bien sûr à éviter (la mort et, à défaut, la souffrance) ou à préserver (la vie et, avec

elle, tout le reste), mais en lui-même, comme cette relation depuis laquelle, justement, la mort, mais aussi la vie, la société,

et le monde, prennent (et parfois risquent de perdre) leur sens, entre les hommes.  »

Frédéric Worms
Professeur de philosophie, Université Lille-3,
Directeur du centre international d’étude de la
philosophie française contemporaine à l’Ecole
Normale Supérieure.

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